Masayoshi YAMADA – Acte 3 – sculptures, peintures et dessins
Catalogue – Vidéo de l’accrochage – œuvres exposées du 16/11/2017 au 20/01/2018
Le passage dépassé.
La tension vive du fil de fer et de la mine de plomb relie les pensées lumineuses de Yamada. Ces pensées sont à la fois graves et légères. Elles se matérialisent naturellement sous la forme de sculptures et de dessins qui embrassent sans nous lasser les mêmes thèmes. À l’évidence, il s’agit toujours pour l’artiste de dresser les portraits d’êtres dans une situation de passage. Au premier regard, celui de l’illumination, nous sommes figés et pourtant emportés entre naufrage et douce flottaison.
Au hasard, dans ce dessin là, deux corps, l’un noir et l’autre blanc, allongés sur un matelas, s’envolent au-dessus d’une mer de neige. Dans cette sculpture, quelques figures dressées sur une barque de fortune naviguent sur l’horizon vers un ailleurs immobile.
Dans les dessins, l’économie des moyens mise en œuvre et l’intensité du trait font surgir le sujet comme une apparition. Dans les sculptures, les forces contenues dans le fil de fer enroulé avec vivacité et virtuosité font crépiter en silence les formes du mouvement. Le jeu en présence dans tout le processus de création de ces œuvres met en place une ambiguïté malicieuse entre des contraires : la verticalité et l’horizontalité, les contours et l’intérieur, la mobilité et l’inertie, le rire et la conscience socratique de ce que nous sommes. Oui !, nous sommes de passage et si nous devons boire la ciguë, alors, il faudra le faire avec un peu de malice, faire croire qu’on l’avale sans l’avaler complètement tout en la savourant jusqu’à la lie. Sur le plan technique, plus prosaïque, il faut reconnaître que ce qui nous est restitué est un condensé de matière. Des traits dansant et griffant la peau du papier, un fil de fer qui s’agite en apesanteur et se trouve relié magiquement au socle d’une pensée, un volume tramé et tremblé qui se construit pour dessiner une valise où le regard devient prisonnier. Nous voilà revenus, de plain-pied à la contradiction des images et des idées que révèle l’art de Yamada. Tout est donné pour s’esquiver ensuite comme une plaisanterie sur la vie, sur la présence d’une absence et de l’absence d’une présence qui se saluent mutuellement et surtout poliment.
C’est dans les titres qui sont donnés par l’auteur pour accompagner ses offrandes que se confirment ses intentions. Là, les jeux de mots se font murmures de métaphysique ; ils sont à peine esquissés. Il faut retenir sa respiration pour les entendre. Prendre un mot pour un autre, pour paraphraser Jean Tardieu, permettrait de comprendre le sens des oppositions et dérives de sens. Un dessin nommé « œil » pourrait devenir par homophonie « deuil », cette sculpture intitulée « vague » serait en fait le glissement vers une blague.
Nous aurions pu avoir une autre lecture, la possibilité de nous raccrocher à des digressions autour du sujet pour appréhender leur quintessence. Nous aurions parlé alors de la mythologie d’Acheron, le passeur des enfers, évoqué le soleil de la méditerranée au Zénith de la tombe des réfugiés, renvoyé vers ce tableau d’Eugène Delacroix, cher au cœur de Yamada, « La barque de Don Juan » que l’on peut voir au musée du Louvre. Cela aurait souligné inutilement par les mots ce qui vient à nous dans l’immédiat quand la voix de l’artiste crève l’œil du regardeur pour lui ôter sa cécité.
Au milieu du point d’orgue de cette partition, hérésie pour un musicien, les dessins au crayon rouge sang ou sirop grenadine, érigent des donjons, labyrinthes devenus mastabas dans une ascension vers un passé qui est un avenir déguisé.
Jean-Pierre Plundr
Auvers-sur-Oise, septembre 2017