Catalogue – Accrochage de l’exposition – Œuvres exposées du 18/10/2012 au 8/12/2012
Effraction ou le Peintre masqué
« In fine je ne veux plus exposer sous mon nom (ne plus faire vieillir le personnage de l’artiste en moi et affaiblir ma fiction) » , dit-il ; « Ma signature au dos des tableaux atteste qu’il n’y a pas mort de l’autre (restera la mince cloison de toile à peindre qui protège un tel incognito). Cette disparition « signée » n’est ni une pose ni un lourd secret, le lèvera qui voudra, qui pourra (restera toujours quelque chose de mon intention, une forme de nudité de l’œuvre, le plaisir d’échafauder des fictions picturales au long court, une manière légère de conjurer l’oubli en forme de navette dont le va-et-vient tisse notre présent et notre devenir d’artiste. »
(…) si l’art du peintre n’est au service d’aucun pouvoir, ce n’est ni par désobéissance ni par subversion volontaires, mais par ruse, car l’effraction en est sa qualité, il ne peut tenir dans un cadre convenu car il ne cesse d’en jouer ses limites en les expérimentant sans cesse. Quand nous ouvrons les yeux nous ne voyons qu’une partie du paysage, quand nous les fermons nous sommes en mesure de le restituer à 360° et ceci dans un temps qui n’existe pas plus que la vision ne nous en est permise. Au-delà de cette limite, hors de ce que l’œil est capable de voir, la totalité du monde n’est jamais appréhendée et ne peut se comprendre qu’en s’en retirant. Il nous confiait ainsi un jour : « Je n’ai pas la mystique de la peinture pure mais celle de l’énonciation des choses…l’anecdote des petits déjeuners avec ma femme où, dos à la fenêtre, je lui demande « s’il fait beau » comme si l’entendre le dire me le rendait plus vrai, plus réjouissant… » C’est cette folle entreprise que tente l’artiste par la fiction du Peintre: désigner dans l’œuvre à la fois le visible et l’invisible qui le borde ; en énoncer la transformation par le jeu stratégique d’une forme qui prend le choix du divers ; agiter dans le même champ sémantique le mot et l’image qui se disjoignent ; permettre dans le même espace physique que le Peintre s’expose au prix que l’artiste s’absente ; ouvrir le temps présent de l’œuvre à l’émancipation du temps passé qui de tout temps ressurgit ; enfreindre le champ des possibles en y incluant un hors-champ qui fait entrer le spectateur dans la confidence, seulement si, bien sûr, il veut bien en faire l’effort, et lui-même se mettre en état d’effraction. « Bande de cons…bande de cons… » disait le texte, « Bande de con..nivence » a ajouté Christian Aubert, un jour de tournage à la Villa Tamaris. Et ce qui est ainsi repris du temps passé, ne l’est jamais sur un mode nostalgique mais comme si les mots, les images, les photos, les textes, les objets étaient tissés, voire rapiécés ensemble, à la manière d’une « Image dans le tapis » qu’on découvre par surprise. Car ce qui est remonté là dans l’œuvre est une manière d’exposer et de redécouvrir les lignes de rupture d’une réalité passée qui nous permettrait d’en transformer la souffrance générée. Ce serait ainsi une effraction « douce », énoncée sous une forme résistante.
Evelyne Artaud avec citations du Peintre en italiques.
… Se vouloir unique dans la multiplicité des visages et des noms. Suivons le peintre dans le dédale de son état civil : “Pour les noms et qualificatifs concernant mes peintres en voici la liste ! Je, tu, il, on, vous, nous, cet homme, cet homme puéril, l’homme, un homme, Florent Max, le principal témoin, le peintre, l’artiste-peintre, le futur retraité, le professeur de dessin, un peintre de photos et de textes que l’on accroche au mur, le peintre ambulant, l’artiste touriste, un peintre en chair et en os, un peintre un vrai, le peintre du dimanche, le peintre aux scabieuses, le peintre de la Pentecôte, le peintre de l’Ile de Skye, le peintre de Tamaris près d’ Alès, le peintre des tableaux retrouvés, le peintre de l’International Production Company, le peintre en buste, le peintre Jack Beauregard, le peintre Ange Glacé, le peintre Asfalto Chaves, le peintre Güiraldes, le peintre Hudson, le peintre Ascasubi, le vieil homme, le fantôme de l’Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, le faux professeur, le peintre Zenganno, un peintre des années soixante-dix, lauréat du journal Lisette, le peintre avec quatre membres de sa famille, Jean Kyriakos, mon élève Julien, Madame Perrad voisine de palier du peintre, un peintre de renom, un analphabète, le voleur de planches à la menuiserie des mines, un fonctionnaire français de l’enseignement public, le retraité de l’art, un artiste d’ici, de Tamaris, le peintre de l’avenue Gambetta, le peintre au pull-over illustré, le monsieur et la dame qui ont des petites filles jumelles, il s’y connaissait un peu en dessin, ce peintre, le peintre Harry Glenhart, le peintre Sam Ducis, le peintre Georges Fronval, un peintre ombrageux, notre peintre à nous, le peintre Peter Burkhart, le célèbre Jacques Morand, le peintre Renders, le peintre Frédéric Jarns, le peintre Pierre Pernet, le peintre Charles Harvey, le célèbre Rog-Ner, le peintre et sa famille, le peintre Bill Hawkes, le peintre Alfred Vannier, le peintre King Brayton, le peintre Livina Chamsun, le peintre Percy, le peintre Stevens, le jeune peintre Antonin Gambier, le peintre Charles T. Bran, le peintre Maple Ascroft, le peintre Francis Benedict, le peintre Oreste Maury, le peintre sans œuvre, Mister Questing, le peintre Marc d’Ambléon, le peintre musicien autodidacte, un peintre d’avant-garde, un peintre-photographe, le futur peintre, le peintre qui était justement d’Alès, le peintre Prescott Wardmoor, ce peintre contemporain, un peintre qui n’existe pas, le peintre du Centre des centres, le peintre dilettante, le peintre Roger Nérac, le peintre XYZ, un peintre “arrivé”, le peintre interprète, le peintre virtuose, le peintre Prince d’Orient, le copiste, le peintre L., le peintre errant à la périphérie de l’art, le peintre fantôme, le peintre Gabriel Gale, le peintre qui fait collection de livres, le peintre qui ne peint pas, le peintre qui se déguise, le peintre qui peint comme on joue un rôle, un peintre-archéologue, le peintre en promenade, le peintre caméléon, mon grand ami le peintre, une espèce de peintre de rêve, un peintre “Story-Art”, mon peintre, un aspirant-peintre, le peintre rêvé, le peintre Elmo, le peintre en ballon, un peintre de Paris, le faux paysagiste, le peintre du Kursaal, un génie en herbe, ce crétin de peintre, le peintre amateur, le paysagiste, le peintre Justin Garret, le peintre français, le peintre parisien, le peintre des antipodes, le peintre d’histoires en tous genres, le peintre encore adolescent, un peintre de génie de quinze ans, le peintre blessé, le peintre prisonnier volontaire, le peintre qui avait introduit la fiction dans les arts plastiques, pas un génie de pacotille, le peintre distrait, le peintre nocturne, le peintre camoufleur, le peintre des cimes, le peintre qui s’éloigne, le peintre amnésique, un autre peintre, ce peintre qui manque à la série, l’illustrateur ivre, Jeanlegacstein, le peintre genre colonial, le peintre qui herborise, le peintre raté, le premier peintre, le peintre intercalaire, Monsieur Jean, le vieux peintre, son imbécillité de peintre, ma doublure, votre serviteur, le peintre à cheval, l’aventurier, Nanou, le peintre des envois postaux anonymes, le peintre qui “chine”, le peintre “Fifty-Fictif’, le peintre des Adieux, le peintre soumis à la TVA, le peintre invisible, le peintre aérostier, le peintre d’odalisques, le peintre textuel, le peintre absent, le peintre coquin, le peintre jubilatoire, un peintre de Montmartre, le peintre détective privé, “Michoune”, le peintre romanesque, le peintre furtif, le chemin du peintre, le peintre errant, le peintre à vélo, le peintre du XXème arrondissement, le peintre aventurier, le peintre venu d’une autre planète, Vélasquez c’est moi, le peintre posthume, le peintre perdu, le peintre éperdu, le peintre de soixante-sept ans, le peintre de soixante-huit ans, le peintre de soixante-neuf ans, etc…, compagnon de l’image, le peintre de la Villa Tamaris”.
Le possessif n’est pas neutre. “Mes” peintres a un côté “chef de bande” (d’apaches), un deus ex machina protéiforme. Il ne s’agit plus simplement d’une question de pseudonymes, mais bien d’un phénomène d’ubiquité relevant d’une métaphysique identitaire.
Robert Bonaccorsi