du 23/05/2013 au 6/07/2013

CatalogueAccrochage de l’exposition – Œuvres exposées du 23/05/2013 au 6/07/2013

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Vincent Guzman : par-delà la peinture

Les toiles de Vincent Guzman proposent des métamorphoses de la matière, des fixations troubles de la nature. Fils du sculpteur Alberto Guzman, Vincent a retenu de sa fréquentation des amis de son père comme Julio Le Parc, Carlos Cruz Diez ou Jesus Rafael Soto que le mouvement est un des éléments à utiliser, mais qu’ « il y a d’autres préoccupations, comme la vibration à l’état pur, et la transformation de la matière ». Devant ses nouvelles toiles il passe sans souci du monochrome à de grands paysages aériens peints tout en transparence comme de longues vagues d’écritures profondes. Figurative ou abstraite, on garde en tête que dans sa peinture, Guzman veut mettre en avant l’instabilité optique et le temps de la perception.

Ses grandes galaxies visuelles viennent de son observation du monde réel, de phénomènes physiques, microscopiques, scientifiques. Le peintre aime s’appesantir sur les éléments : l’eau, l’air, la lumière… Mais ne veut surtout pas tomber dans le sentimentalisme ou le pathos. Guzman est dans l’application d’une phénoménologie, une étude de l’expérience et des contenus de conscience à la fois picturaux et issues de l’examen des choses. Il propose en peinture « une doctrine de l’apparence » pour décrire un état de fait spatial et d’essence picturale.
Il aime le mot « concret » parce que cela a aussi à voir avec les rythmes, toutes sortes de phénomènes qui peuvent s’appliquer à la peinture abstraite contemporaine et à l’art Minimal et ses tentatives d’objectivité par rapport à la représentation dans la peinture. L’artiste affectionne même suffisamment la peinture pour qu’elle soit son propre sujet. Il aime à dire que ce qu’il fabrique « sont des représentations de vue de l’esprit, des pensées plastiques presque pures. »
Si sa peinture formellement vient du palpable, du concret par ce qu’il extirpe des éléments du réel, il y a aussi une volonté de distanciation par rapport à l’aspect émotionnel des choses. Les séries de toiles s’intitulent froidement, « Espace élémentaire » et les titres pourraient même être réduits à des équations, des formules mathématiques ou physiques : «  or+larmes », « lumière+mercure »…

Le choix du monochrome ou plutôt des « monochromes variables » selon la jolie formule du peintre, s’est fait par épurations, par plongées, mises en abîme, contemplations de simples détails. Vincent explique : «  La polychromie dans la peinture abstraite nous ramène vite à une idée d’harmonie, à des choses ornementales. Je voudrais m’écarter de l’idée de la composition même si elle se présente toujours à moi dès lors que je ne travaille plus la couleur, la tonalité, la nuance mais la texture très lisse de mes toiles. » Au final les œuvres ont l’aspect de bas reliefs en trompe l’œil chryséléphantin, de miroirs chatoyants, de reliefs luisants, de banquises étincelantes, de diamants miroitants. Les architectures proposées n’ont pas de barreaux, la surface est totalement lisse, presque réfléchissante, saisissable et fuyante comme son reflet dans l’eau d’un lac.

Ses paysages se composent d’amples surfaces striées aptes à causer des effets de moirage ou la lumière s’accroche pour créer tout un réseau de vibrations virtuelles et on assiste à une synthèse optique par une captation de la lumière qui dématérialise le réel et donne l’impression d’une vaste nature comme vue à travers un grand Pénétrable de Soto.

Dernièrement l’artiste a donc décidé de regarder sa peinture comme si elle était un paysage. Des strates, des trames, des rythmes, des verticales, des horizontales… Et c’est justement la planéité, qui l’a amené à ce nouveau travail sur des lignes d’horizon et à l’appréhension de sa propre création avec presque les yeux d’un étranger.
L’expérience le conduit à cette extraordinaire nouvelle série intitulée « Avant le paysage ». Guzman y passe de l’autre côté du miroir, le peintre alchimiste impose de grandes étendues floues faites de vagues, d’ondes, de lames où « la lumière pleut » entre les traces parallèles du pinceau.
Indifféremment l’artiste continue son exploration en passant de l’abstraction à la figuration sans se poser de graves questions sur les tonalités entre deux peintures traditionnellement séparées. A l’atelier trône un grand paysage peint d’après une vue vallonnée de la Creuse, mais cela pourrait être un désert, une ville, peu importe car ce qui intéresse le peintre c’est le jeu entre l’interne et l’externe. Il veut continuer d’ajouter des ingrédients nouveaux à sa peinture autour de la mobilité, de « la mobilité intérieure » pour le citer et aime rapprocher son travail de phénomènes presque cardiaques. Dans l’irisation de ses couleurs en aplats qui s’éclairent comme des flashs visibles et partagés par les initiés comme par les profanes, il organise une nouvelle relation au temps. En somme, sa peinture est une sorte de tentative de représentation de ce que pourrait être la durée du regard du spectateur qui promène son œil sur la surface de la toile. L’artiste cherche à capter un moment fugace pour appréhender un espace mental. Il se place volontiers à la frontière, à la limite, sur le passage, vers l’inconnu. Il est à la recherche de la mobilité intrinsèque à la peinture qui permet de s’évader de la simple image statique. Dans sa quête, Vincent Guzman arrive à nous proposer une peinture idéale puisque différente à chaque fois qu’elle est soumise au regard.

Renaud Faroux, Paris, avril 2013.