VINCENT GUZMAN – acte 3
Guzman et Guzman
Catalogue – œuvres exposées du 24/01/2019 au 09/03/2019
La vie et son double.
Lorsqu’Anne-Marie et Roland Pallade m’ont proposé d’exposer avec toi Alberto, mon père, je me suis dit que tu étais déjà en moi, mais qu’à cette occasion, je pourrais t’avoir encore une fois à mes côtés. Ainsi, ton œuvre me parlerait, et moi, aux murs, par œuvres interposées, je te répondrais.
Puisque tu étais un grand conteur, tes souvenirs sont devenus les miens. Tu fus le point de départ de cette mythologie familiale qui m’a construit. D’abord il y eut le Pérou, celui du Nord, près de l’Équateur, là ou se situait l’hacienda de ta grand-mère, le domaine qu’une journée à cheval suffisait à peine pour traverser …
Là, ou résidait la source de ta sensibilité, au début de tes responsabilités, projeté dans le travail. A l’aube, tu devais te lever pour garder un troupeau de chèvres à l’ombre d’un caroubier (algarrobo) pour t’abriter du soleil. C’est là, me disais-tu, que, dans ce paysage troublé par la chaleur, tu avais perçu le silence suprême, magnifié par le bourdonnement d’une mouche. Ce jour où, pour la première fois, tu t’étais découvert une sensitivité différente de celle des autres membres de la famille, et ce, grâce à cet arbre mort que tu aimais, dont le tronc dépouillé de son écorce avait viré à l’argent, pour lequel tu avais pleuré lorsqu’on le coupa.
Un autre souvenir me revient, ta grand-mère – mon arrière-grand-mère – faisant fuir les voleurs de bétail, la nuit à coups de Remington… Tu naquis dans ce monde-là, comme au XIXe siècle au far West. Distingué par ton intelligence, on te destina aux études. De médecine d’abord, prenant ton destin en main, ensuite, tu te dirigeas vers l’école des Beaux-arts de Lima dont tu sortis médaillé d’or.
A cette époque, André Malraux se rendit en Amérique latine, où il attribua des bourses du gouvernement Français aux meilleurs étudiants. Pour toi, l’opportunité de découvrir un pays lointain qui, à tes yeux, était celui de l’Art, de la culture : un voyage de la lumière vers les Lumières… Tu y restas, sans ne jamais rien oublier de ton passé… Là, tu construisis ton œuvre. Dans ta jeunesse idéaliste, Il y eut le temps de la représentation du monde tel qu’il va, malmené par l’homme, violent, brutal. La sphère de l’unité se déchirait sous la violence des tensions… Tu mettais alors toute ta puissance physique dans des sculptures de métal comme déchirées, hérissées de balles de fusil. Par la beauté agressive de tes œuvres, on en ressentait la force, la matérialité. Plus tard, apaisé, enfin, vint l’ère du marbre… Vécu comme un espace translucide, auréolé, philosophal.
À Paris, ta porte était toujours ouverte, la table mise pour tes amis, artistes, intellectuels, dont beaucoup étaient sud-américains : Garcia Marquez, Soto, Atahualpa Yupanqui, Vargas-Llosa, Chavez, Restany, … tant d’artistes, de musiciens, de poètes ! certains vivant en France, d’autres de passage, la France étant le voyage initiatique obligé de ceux qui pensaient le Monde. Enfant, je vous écoutais passionnément, allant d’anecdotes épiques en débats philosophiques. Les nuits blanches se succédaient… Chassé de la table à cause de mon jeune âge, depuis ma chambre, allongé à même le sol, je vous écoutais encore, clandestinement, par une petite grille de ventilation qui donnait sur le salon, et c’est parfois là, que le matin vous me retrouviez endormi.
Cette chambre fut le premier atelier de mon imaginaire, où les livres, les couleurs, figuraient mes jouets. A ma demande, un mur n’y avait pas été repeint : une ancienne fuite d’eau l’avait maculé d’auréoles bistre. Sa contemplation m’évoquait un paysage constamment renouvelé où, comme dans une pierre de rêve, la moindre tache, à l’instar d’un nuage, devenait figure chimérique. Affamé d’expériences, je tentais des mélanges à la recherche de couleurs encore inconnues. Progressivement, par les délices que procure l’accord entre les actes et la pensée, ce jeu devint mon indispensable expression, une aventure tant physique que mentale développée dans les champs de l’esthétique, afin de faire reculer l’horizon du connu.
J’avais mordu à l’hameçon de la tradition familiale ! Mon grand-père maternel Emile Compard, peintre, toi sculpteur, moi, peintre. Encore ! Comme à l’enseigne des vieux métiers : « de père en fils » depuis …
Aujourd’hui, lorsque je me penche sur moi-même, ou plutôt sur mon parcours, je me rends compte que ce que j’ai toujours tenté d’approcher, c’est une représentation du temps, qui force à grandir, à murir, à vieillir, à changer. L’insaisissable, le furtif, sont à la manœuvre dans cette perpétuelle lutte entre le fugace et le permanent… la vie en somme ! Mon travail. Celui qui le contemple, s’y plonge, le parachève.
Vincent Guzman, décembre 2018